LE DÉSINTÉRÊT POUR L'ARMÉE
Près
d'un tiers des Français préfèrent la domination d’une grande
puissance à la perspective d’une guerre ! Comment en sommes-nous
arrivés là ? Le XIX° siècle voit l'essor de l'industrialisation
sous la poussée d'exploits techniques et une transformation
exceptionnelle de notre environnement avec la formation de l'Empire
colonial français. En 1881, le bey de Tunis reconnait la
souveraineté de la France - la maîtrise de la mer oblige la Chine à
reconnaître le protectorat de la France sur l'Annam et le Tonkin
(1885) - l'expansion se poursuit en Mer Rouge avec l'établissement
d'une base navale à Djibouti (1888) et la pacification de Madagascar
(1895-1905) - l'AOF naît avec la conquête du Sahara (1902) - la
domination française s'étend de la méditerranée au Tchad - le
protectorat marocain intervient en 1912.
La
III° République est secouée par une série d’événements qui
troublent l'environnement politique, social et économique ; scandale
de Panama (1893) fait suite au boulangisme, le terrorisme anarchique
donne naissance à une forme de banditisme, Zola attise les passions
et suscite les divisions avec "J'accuse", Jules Ferry fait
voter le principe de l'enseignement primaire laïque gratuit et
obligatoire, la loi sur les libertés syndicales.
La
France d'avant 1914 connait une certaine nonchalance avec la paix
sociale et la stabilité financière, c'est la belle époque et il
fait bon vivre en France. Dès le début du conflit, la France est
privée des ressources des régions envahies, son économie subit un
coup d'arrêt brutal. L'allégresse de l'armistice ne peut effacer le
souvenir d'une guerre mondiale qui laisse le pays exsangue. Les
pertes humaines sont considérables. Les Français songent à
s'étourdir pour oublier leurs souffrances. Ce sera les années
folles. Le krach de 1929 est le premier symptôme d'une crise
économique dont la gravité et l'ampleur sont sans précédent. Le
niveau de la production retombe à un niveau plus bas qu'en 1913.
Le
1 septembre 1939, la France fidèle à ses engagements déclare la
guerre à l'Allemagne suite à l'invasion de la Pologne. Deux
millions d'hommes sont prisonniers et la partie nord du pays est
envahie. Le blocus des Alliés coupe la France de l'extérieur la
privant de matières premières, d'énergie et de moyens de
communication. L'arrêt des hostilités est presque un soulagement.
Paris est déclaré ville ouverte, l'armistice est signé le 14 juin.
La population française est divisée en quatre attitudes : ceux qui
font le dos rond en attendant des jours meilleurs - la collaboration
(les raisons sont diverses) - la résistance à l'envahisseur - et
ceux qui préfèrent s'expatrier. Le 3 juillet 1940, le drame de
Mers-El Kébir frappe de stupeur la population. La flotte britannique
a ouvert le feu sur l'escadre française au mouillage tuant 1 300
marins et endommageant nos plus belles unités.
En
1945, la France sort d'une des plus graves crises de son histoire. Sa
population a connu l'humiliation, la misère, le marché noir, les
restrictions, et l'occupation de son territoire. Les pertes en vies
humaines ont fait plus de 600 000 victimes. L'outil industriel est
détruit, les cultures sont dévastées. La France doit tout acheter
et son prestige est définitivement ébranlé. La seconde Guerre
mondiale va précipiter la fin du colonialisme. En juin 1945, les
Français évacuent la Syrie, au mois de décembre 46, le dernier
soldat français quitte le Liban, trois mois plus tard surgissent les
troubles à Madagascar, la guerre d'"Indo" se termine par
le drame de Dien Bien Phu en juillet 54. L'agitation persistante en
Tunisie et au Maroc conduit à la reconnaissance de leur indépendance
(52 et 53). L'année 56 voit le déroulement de l'opération
Mousquetaire (l'aventure de Port-Saïd en Égypte), les deux grands
renvoient le corps expéditionnaire franco-britannique soutenu par
Israël, à la niche, la queue entre les pattes. Les années soixante
annoncent le chant du cygne avec l'indépendance : du Mali - de la
Mauritanie - du Tchad - de la République de centre Afrique - du
Congo - du Cameroun - de Madagascar - du Sénégal - de la Côte
d'Ivoire - de la Guinée. Qui se souvient aujourd'hui du Dahomey, du
Togo, etc. ?
Quelques
mois seulement après l'Indochine, le problème algérien se révèle
au grand jour ; on parle de maintien de l'ordre, de rébellion, de
pacification, autant d'euphémismes bien inutiles pour une guerre qui
n'ose pas dire son nom. Le conflit algérien va marquer les esprits
et l'envoi du contingent va secouer la société française. Si le
service national est peu apprécié des appelés, il l'est encore
moins par ceux qui sont maintenus et les rappelés. L'appelé après
quatre mois d'instruction militaire accomplis en métropole, en
Allemagne, ou au "bled". L'instruction terminée, le
conscrit sait faire un lit au carré, ranger son armoire et faire son
paquetage. Cette période terminée, l'appelé bénéficie d'une
courte permission de 8 jours avant de prendre place à bord d'un
train, direction Marseille, camp Sainte-Marthe. Les trains accusent
souvent des retards provoqués par l'usage intempestif du signal
d'alarme pour immobiliser la rame.
Après
le passage par le dépôt, les appelés embarquent sur un navire à
destination de l'Algérie où des camions les attendent pour les
conduire vers leur affectation. Les jeunes hommes vont se
familiariser avec leur quotidien : bouclage, quadrillage, ratissage,
embuscade, accrochage, contrôle d'identité, patrouille, tour de
garde, protection des convois, assaut, sans oublier le crapahut dans
le relief tourmenté. La solde ? 20 francs (anciens) - 15 paquets de
"troupes" - quelques timbres franchise militaire, par
mois... Ne leur a t-on pas dit que "les voyages formaient la
jeunesse" ? Promesse en partie tenue. Ils vont se familiariser
avec leur nouveau vocabulaire : mechta, Inch Allah, mektoub, harka,
katiba. La compagnie est devenue l'école Berlitz (L'apparition de
mots d'origine arabe, fatwa, emir, etc., dans notre quotidien
est-elle une indication fiable des bouleversements à venir ?). Après
une année de service, les appelés ont droit à une permission de 3
semaines (en métropole, les congés payés sont alors de 4
semaines/an). Les appelés vont vite apprendre qu'il ne faut pas
abandonner un camarade blessé sous peine de le retrouver atrocement
mutilé, émasculé, égorgé ; parfois au cours d'un accrochage, des
soldats d'origine algérienne lèvent leur fusil la crosse en l'air
en signe de ralliement à l'ALN ; au petit matin certains ont déserté
avec leur arme. Ces actes seront en partie responsables de la
défiance des Français à l'égard des Algériens. Pendant leurs
loisirs, les appelés tapent le carton, écoutent le "transistor",
lisent et relisent le courrier reçu, et ils prennent des photos,
tout en pensant au Père-cent, à la quille, et craignant de faire du
"rabiot". Peu sont politisés.
Le 1 juin 1958 le parlement investit le général de Gaulle, le 15 mai c'est un général Salan enthousiaste qui adresse à la population réunie sur la Forum d'Alger un "Vive de Gaulle ! " tonitruant ; au mois de Septembre 59 de Gaulle propose aux Algériens la voie de autodétermination. Le 8 janvier 1961 les Français de métropole approuvent à 75 % le référendum sur l'autodétermination. Le 22 avril 1961 éclate le putsch des généraux et porte l'Organisation de l'armée secrète (OAS) sur les fonds baptismaux. "Soleil" (Salan) n'avait pas étudié cette forme de combat lors de son passage par l'école de guerre, l'issue en sera catastrophique. Jean-Marie Bastien Thiry sera fusillé pour être resté fidèle à son serment. Le conflit terminé en 62, on décompte 30 000 morts, la plupart sont de jeunes hommes âgés d'une vingtaine d'années.
Cette époque annonce un complet bouleversement des mentalités. L'arrivée massive des pieds-noirs en 1962 accentue le manque de logements (elle aura aussi un impact sur le banditisme). Les grands ensembles et les villes-nouvelles vont contribuer à la modification du territoire et à l'extension des zones péri-urbaines. La population est mieux instruite, plus critique et mieux informée. En 1968 le nombre des universitaires a augmenté de 168 % en une décennie et le mouvement du mois de mai conteste l'autorité (loi Edgar faure). L'année 1968 voit également la création des Comités de soutien aux objecteurs de conscience, forme de contestation apparue avec la naissance de la conscription obligatoire au XIX° siècle. L'objection de conscience a fait vraiment son apparition publique lors de la guerre d'Algérie. La guerre d'Algérie terminée, un premier statut leur est accordé par de Gaulle mais La diffusion d'informations sur le sujet reste interdite. La gestion de leur affectation et emploi sont confiés à différents ministères (Intérieur, Santé, Agriculture, Affaires sociales). A partir de 1966, les objecteurs de conscience ont la possibilité d'effectuer leur service civil dans des organismes d'accueil.
Depuis les républicains des barricades de 1830 jusqu'aux comités de soldats des années 70, l’institution n’a pas manqué de détracteurs. L'antimilitarisme régnant dans le monde ouvrier voyait dans le soldat l’outil de la répression sociale, et une certaine paysannerie restait opposée à un service militaire qui l’arrachait à sa terre. En 1983 une nouvelle loi facilite l'obtention du statut d'objecteur de conscience tout en autorisant la diffusion d'informations sur le sujet ; le nombre d'objecteurs ne va cesser d'augmenter. La suspension du service national (loi du 28 octobre 1997) n'en est pas en cause première, même si une grande partie de la population n'adhère pas à la fonction intégratriste de la conscription, pas plus que la cause seconde. La cité n'est plus menacée, du moins par ce genre de menace.
Le citoyen du XXI° siècle n'a plus rien de commun avec le siècle des lumières et l'humanisme généreux. Il lutte au quotidien pour l'amélioration de sa condition, il veut pouvoir choisir la cause pour laquelle il est prêt à se battre et à mourir. Si une vie humaine disparaît définitivement, la République, elle, se transforme, perdure, et les responsables politiques ne sont jamais jugés, fusse à titre posthume. Les militaires sont tenus en piètre estime par les politiques même lorsque ces derniers font semblant de leur cirer les "rangers". Le politique ordonne, le militaire exécute.
L'Armée
française que les Russes surnomment l'Armée mexicaine en raison de
sa pléthore de généraux est désacralisée. L'individu n'est plus
la chose de son "saigneur", il n'entend plus être commandé
par un plus c.. que soi. Première question, pour qui et contre qui
se battre ? deuxième axiome, ces derniers méritent-ils que je
risque ma vie pour eux ? Je peux être en accord avec eux et
cependant refuser de m'y associer. Il ne s'agit pas de lâcheté, la
véritable lâcheté serait de contribuer à une cause pire que
l'actuelle. Que penseraient nos pairs tués à l'ennemi en défendant
la Patrie lors des conflits de 1870, de 14-18 et de 39-45, s'ils
pouvaient voir les boches défiler le 14 juillet sur les
Champs-Elysées et leurs "soldaten" inhumés dans notre
terre et à côté des nôtres ? La chancelière a-t-elle l'intention
un jour de venir récupérer leurs dépouilles couvertes de
vert-de-gris ? Amis Allemands qui me lisez, sachez que la génération
d'après- guerre n'a rien oublié, elle pourrait prétendre à des
dommages intérêts pour le syndrôme post-traumatique subi par leurs
aînés qui leur a été transmis par la psychogénéalogie et légué
au titre du devoir de mémoire. En 2013, la Grèce réclamait aux
Allemands le versement d'indemnités au titre de réparation. La
Bundeswrh a -t-elle mis en place l'étude de la cliodynamique dans
ses cours ?
UN CONCEPT DÉPASSÉ
Après
le volontariat de 1792 qui rencontra peu d'intérêt, la France
invente l'année suivante la réquisition et en 1798 la conscription.
Les vendéens et les Bretons refuseront ces formes de recrutement. La
guerre va durer 10 ans et elle fera 600 000 morts dans les deux
camps. L'armée de conscription ne laisse aucun choix à l'appelé.
Le "bidasse" est la chose de l'État. De citoyen il est
redevenu sujet de l'État-Royaume. Il se voit obligé de combattre et
de mourir pour le pouvoir, pour une idéologie, ou une action qu'il
désapprouve. Les décideurs qui ont fait bien peu cas de la vie de
nos pairs n'ont jamais eu à rendre compte de leurs actes insensés.
Ils ont pourtant contribué à "saigner" le pays. Des
défaites transposées en épopées glorieuses dissimulent leur
incurie et celle des politiques. La charge de Reichshoffen le 6 aout
1870 n'en est, hélas, qu'un triste exemple (14-18 en a connu
d'autres). Quatre de nos régiments de cuirassiers massacrés! Le
terrain qui n'avait pas été reconnu dissimulait des réseaux de
fils de fer qui suffirent à désarçonner nos cavaliers. Il serait
temps de réviser notre Histoire de France en lisant autre chose que
des manuels scolaires. L'enseignement de l'histoire est le fondement
de l'identité nationale.
Les motivations qui animaient les hommes formés pour mener une guerre de libération reposaient sur la liberté et la défense de la cité. Si la guerre a de tout temps été un art pour lequel il fallait s'instruire et y être préparé, les temps ont bien changé. De nos jours, on a renoncé au combat avant qu'il ait commencé. C'est le refus des pertes humaines qui prévaut parmi les politiques et les États-majors. Non seulement on évite l'engagement au sol, geste guerrier, pour lui substituer un geste technique (tir de missile par un drone par exemple). Ce n'est plus la conviction dans la cause (patriotisme) qui l'emporte, mais le sens des responsabilités.La violence ne représente plus un moyen de libérer la patrie. La violence doit être proportionnée !
Le
métier des armes n'a plus grand chose à voir avec le passé, hormis
peut être le théâtre des opérations extérieures qui n'a jamais
intéressé les nationaux (ces troupes n'ont jamais obtenu le soutien
de la population). La professionnalisation des armées "colle"
à l'esprit de la population occidentale moderne. Tout s'achète,
même la tranquillité. Ce n'est qu'une question de prix à payer
(renoncement). Le soldat en opération extérieure adhère à des
valeurs exogènes qui n'ont parfois que peu à voir avec le sacrifice
à des valeurs nationales. Il y a dans l'esprit de la population,
affaiblissement du patriotisme, disparition des vertus guerrières,
ce qui a entraîné la banalisation de la fonction militaire. On
demande au militaire d'exécuter les ordres. N'est-il pas payé pour
cela? S'il est tué en opération extérieure (nos pairs étaient
"tués à l'ennemi"), la famille entend porter l'affaire
devant les tribunaux pour engager la responsabilité des supérieurs
en invoquant l'obligation de moyens. Les militaires doivent répondre
de leurs actes devant les politiques qui entendent ménager leur
opinion publique, et les tribunaux, avec le risque d'être "lâchés"
par leur hiérarchie.
Le
militaire est engagé dans des missions qui dépassent largement la
fonction. La nature des combats actuels consiste à respecter un
règlement draconien avant d'engager les effectifs, d'ouvrir le feu,
etc. Il s'agit avant tout de minimiser les risques (pour qui ?). On
assiste à une "moralisation" (jugement de valeur)
croissante du monde qui nous entoure. L'intervention armée est-elle
tolérée, souhaitée, ou rendue nécessaire ? On parle de droit
d'ingérence, si besoin en contradiction avec les lois
internationales, de maintien de l'ordre, voire de sociétés
militaires privées, afin de rendre noble l'intervention étrangère.
La mort n'a plus la même signification, l'acte héroïque a disparu,
quant aux dommages à l'encontre des civils, la dilution les rend
"excusables". Cette "moralisation", humanisation,
a un coût, il faut réparer, reconstruire, et surtout s'excuser
d'être intervenu sans avoir été sollicité.
Aujourd'hui,
l'homme ou la femme, peut avant son engagement réfléchir: le combat
est-il légitime, légal au regard du droit international, suis-je
disposé à porter le couvre-chef d'une organisation internationale,
à être placé sous un commandement allié ? L'obéissance et la
discipline sont maintenant perçues comme une soumission à
l'autorité. L'armée représente le contraire de la liberté et de
l'égalité. Il ne peut y avoir de liberté dans l'égalité.
L'instruction, l'égoïsme, la sécurité, sont pour certains les
meilleurs garants d'une vie confortable de laquelle la fraternité a
complètement disparu. Si un jour apparaissait en Europe une menace
intérieure quelconque, serions-nous en mesure de l'affronter
promptement et la réduire avant de annihiler, ou le coq aura-t-il
muté en chapon pour finir embroché et servir ripailles ?