dimanche 25 octobre 2015

QUI TIRE LES FICELLES EN SYRIE ?



Le conflit en Syrie a constitué une véritable aubaine pour la Russie qui entend bien profiter de son intervention pour s'implanter plus durablement au Proche-Orient que  ne le fit l'Union soviétique. Après l'implosion de l'URSS, la CEI a perdu, entre-autre, la Crimée et sa flotte de la Mer noire, de ne conserver que le port syrien de Tartous où la Russie est présente depuis 1971, et Moscou semble, pour l'instant, avoir assujetti sa puissance militaire au service de sa diplomatie dans cette région. La Flotte peut être projetée en Méditerranée via le Bosphore et rejoindre le Canal de Suez, déboucher sur l'Océan indien, et le Détroit de Gibraltar livrant accès à l'Océan Atlantique. Autres atouts de leur présence, l'implantation d'un centre de renseignement (recueil, traitement, analyse), verrouiller le Caucase central et une partie de l'Asie centrale afin d'y prévenir et contenir le risque islamique et de se rallier une partie des musulmans modérés.

Au plan géostratégique, les alaouites (branche du chiïsme) occupent la région la plus fertile de la Syrie dont la bande littorale facilite le commerce maritime, ensuite, l'axe nord : Homs Hama, Alep, et l'axe sud vers Zabadani et Damas représentent les deux artères du pays. Plus à l’est, la vallée de l’Euphrate serpente de la frontière turque en direction du sud-est, desservant les villes de : Raqqa, Deir ez-Zore, et d'Abul kamal proche de la frontière irakienne, axe de pénétration pour Daesh. Pour les partisans d'une présence au sol, une remarque de tactique militaire s'impose, une division n'occupe qu'une largeur d'une dizaine de kilomètres et sa profondeur est d'environ 120 kilomètres...

L'intervention russe aux côtés du régime syrien et de l'Iran a non seulement eu un effet très positif sur le moral des combattants loyalistes, elle semble déplaire fortement à l'axe pro-atlantique soutenu par la : Turquie, l'Arabie Saoudite et le Qatar, jusqu'aux islamistes eux mêmes. Le 13 septembre 2015, L'État islamique et Al-Qaïda ont menacé la Russie, deux obus tirés par des rebelles islamistes sont tombés dans l'enceinte de l'ambassade russe à Damas. Ce conflit initié en mars 2011 par une révolte populaire brutalement réprimée qui s'est mué en guerre civile et entraîné une crise migratoire sans précédent, en fait un des plus complexe en raison de la multitude des protagonistes d'obédience très différentes ; Sunnites/Chiites, Islamistes/musulmans, Daesh (branche syrienne d'Al-Qaïda) et le Front Al-Nosra, par exemple, se font la guerre et combattent séparément le régime de Bachar al-Assad honni par le gouvernement socialiste français.

Si Russes et Occidentaux bombardent l'EI, personne ne semble s'accorder sur le choix des frappes ni sur le soutien aux rebelles présents sur le terrain. Vladimir Poutine a rétorqué à Barak Obama qui s'inquiétait sur le choix des cibles détruites par l'aviation russe : "donnez-nous l'emplacement des cibles islamiques et nous les détruirons". Force est de reconnaître que les 4000 frappes de la coalition au Proche-Orient semblent n'avoir amoindri aucunement la capacité de nuisance des islamistes. Que veut le camp atlantiste, remporter une victoire définitive ou seulement épuiser leur(s) adversaire(s) et ainsi lui permettre de se "refaire une santé" et plus tard de présenter une nouvelle menace ? Une nouvelle victoire à la Pyrus. S'il est de notre devoir moral de se pencher sur les révolutions du Proche-Orient, une autre question se pose, quel est notre intérêt à intervenir, à compatir ou s'en désintéresser ? Qui a raison, Moscou déterminée à en finir avec l'islamisme, Paris qui privilégie le départ d'Assad, ou Washington qui semble vouloir faire cavalier seul ?

Une chose est certaine, l'histoire contemporaine nous a montré que seuls des bombardements destructeurs et meurtriers peuvent mettre un terme à certains conflits. Pendant la guerre en Irak, les États-Unis ont déversé des tonnes de bombes sur Falloujah (2004), opérations qui n'ont aucunement empêché Al-Qaïda en Irak (l'ancêtre de Daech) de quitter la ville pour s'installer à Mossoul. Ce sont les bombardements, notamment sur : Dresde et la Ruhr qui ont permis l'armistice de 45. On ne parlait pas encore de frappes chirurgicales mais de "tapis de bombes". L'"axe du mal" était alors tout simplement les forces de l'Axe avec d'un côté le bien et de l'autre le mal indifférencié. Ceux qui n'étaient pas avec nous, étaient contre nous. Existe-t-il des rebelles musulmans modérés ? Les États-Unis qui ont livré des armes, des véhicules, des missiles antichars et instruit des groupes rebelles, ont eu la désagréable surprise d'en voir certains passer avec armes et bagages chez l'adversaire...

Au mois de juin 2015, l'Égypte marquait sa défiance à l'égard du wahhabisme et de sa pétro-monarchie soutenus par Washington avec l'accueil du "Congrès fondateur de l'opposition démocratique syrienne" au Caire. Le président égyptien de confirmer son engagement en recevant le chef des services de renseignements syriens et déclarer "La Syrie constitue la première ligne de défense de l’Égypte en ce que les deux pays combattent le même ennemi commun, La confrérie des Frères Musulmans". Faisons un aparté sur le wahhabisme qui rejette non seulement les "mauvais Musulmans" mais aussi les Chrétiens, les Juifs et l'Occident. Cette doctrine est née de la rencontre en 1742 de Mohamed Ben Abd al Wahhab, un réformateur religieux expulsé de sa tribu pour avoir prêché le jihad contre les mauvais musulmans (nda: ceux qui se permettaient d'interpréter le Coran selon leurs propres intérêts) qui peuplaient la Mecque, et Mohamed Ibn Séoud un chef tribal dans la région du Nadjd (non assujettie à l'Empire ottoman) située au centre de l'Arabie qui voulait soumettre toutes les tribus régionales. Toute ambition musulmane reste étroitement liée à la religion et aucune réforme ne peut aboutir sans le soutien d'une tutelle "politique". L'Arabie Saoudite présente une identité particulière, elle contrôle les activités religieuses, politiques et économiques. Ceux qui y exercent le pouvoir dépendent matériellement de l'économie, c'est l'antithèse du marxisme ! Pour ces derniers, c'est le rapport de classe qui détermine les relations, non la religion ni l'histoire national, pas plus la propriété privée.

Reprenons le fil de notre lecture, deux événements économiques majeurs sont intervenus en Égypte, l'élargissement du Canal de Suez (Août 2015) et la découverte d'importantes réserves en gaz suffisantes aux besoins du pays et à ravitailler l'Europe plaçant l'Égypte en concurrent du Qatar. l'Égypte qui s'est portée acquéreuse des 2 BPC et d'une quinzaine de Rafale, entend bien devenir un acteur incontournable au Proche et au Moyen Orient. Les grands gagnants pourraient être l'Égypte, l’Iran, la Russie de voir se concrétiser un de ses souhaits historiques.

Les pays bienveillants à l'égard de la Russie sont les mêmes que par le passé, ceux favorables à l'occidentalisation, à une forme républicaine, pour l'émancipation de la femme, et pour lesquels le communisme n'est plus de mise. Pour Poutine, il ne s'agit plus d'imposer une idéologie, un modèle économique (marxisme), de gouvernance, de contester une existence divine, de conquérir des territoires aux Proche et au Moyen-Orient. Vladimir a compris que l'Islam n'a pas de patrie, que l'Ouma a comme l'URSS d'antan, une volonté hégémonique de voir un Califat à majorité sunnite s'établir.

Si le communisme commença vraiment à se répandre au sein des pays arabes dans les années vingt prenant pour prétexte la libération d'une présence étrangère et de l'impérialisme occidental, il avait émergé vers la fin du XIX° siècle. En 1800, la Russie annexa la Géorgie et le traité de Gulistan (1813) priva la Perse de toutes ses provinces riches du Caucase qui fut contrainte en 1828 de céder encore d'autres territoires. La création de l'Afghanistan et l'occupation de la Transcaspie allaient s'en suivre. Quelques années plus tard, des tracts circulaient invitant les Arabes et les Chrétiens de Syrie à s'unir et à refuser la domination Turque au profit de l'"Ouma arabe" où la notion de patrie reste inconnue. Sous la domination ottomane, les Arabes pouvaient circuler librement dans tout le Proche-Orient, ce qui explique en grande partie le comportement des migrants actuels et pourquoi ces peuples peuvent encore rejoindre la Turquie sans visa. Le sentiment anti-ottoman allait gagner l'Égypte et le Soudan irrités de la présence britannique.

Les Bolchéviques allaient vouloir implanter le marxisme où il était le plus susceptible de venir fusionner avec le nationalisme arabe et le renforcer. Cette tentative allait accélérer après la Première Guerre mondiale avec la présence d'agents d'influence : Allemand, Anglais, Français, Russes et d'anciens prisonniers de guerre de retour dans les pays islamiques. Quelques cellules se rallièrent à la troisième internationale en : Turquie, Perse, Égypte. Pour l'Union soviétique, il s'agissait surtout de briser l"encerclement" de la Russie en encourageant les régimes non inféodés à l'Occident à venir rejoindre le communisme.

Le 23 novembre 1917, les Izvestia et la Pravda publièrent des minutes des accords Sykes-Picot du 16 mai 1916 qui faisaient mention du partage par les alliés des pays arabes dans le seul dessein de soulever les populations arabes. Les Alliés avaient promis aux Arabes de les libérer de la présence turque. La tentative communiste allait d'abord s'appuyer sur le système des mandats accordés le 20 avril 1920 sur les anciennes provinces turques et soulever la question du panarabisme, unité : de langue, religieuse, sociale, politique. Pour les Bolchéviques, l'avènement du communisme dans les pays musulmans se devait de reposer sur une révolution sociale, l'émancipation et la revanche des peuples colonisés sur l'Occident chrétien. La Turquie, estimée la plus disposée, allait servir de "laboratoire" à la dialectique marxiste. L'axiome fut de calquer le communisme sur le nationalisme turc. Cela déboucha sur la fondation du Parti socialiste des ouvriers et paysans turcs au mois de septembre 1919. Le 26 avril 1920, Mustapha Kemal proposait à Lénine le réouverture des relations diplomatiques. Un traité d'amitié entre l'URSS et la Turquie fut signé le 16 mars 1921, traité qui s'étendra à la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan. En 1922, le Parti communiste turc organisait ses premières assises à Ankara, il fut aussitôt déclaré illégal.

Au mois de mai 1920, les soviétiques avaient débarqué à Enzeli en Perse et proclamé la République socialiste soviétique de Gilan (4 juin) qui sera renversée en novembre 1921. L'arrivée du Shah en 1925 allait balayer les communismes. Le Parti fut interdit en 1928 ce qui contraignit ses 1500 membres à se réfugier dans la clandestinité. Le déclin des Partis et des cellules communistes était proche. Le noyaux socialistes du Caire, d'Alexandrie, de Port Saïd, par exemple, qui prônaient l'unification du Soudan à l'Égypte et la nationalisation du Canal, ne comptaient que 2000 membres en 1924. le Parti irakien fut lui aussi déclaré hors la loi en 1933. Les marxistes conclurent que les nationalistes étaient xénophobes alors que le communisme recherchait, lui, la lutte internationale des classes laborieuses.

L'URSS avait conclu le 13 novembre 1940, un traité avec l'Axe en catimini : " L'URSS déclare que ses aspirations territoriales se situent au sud de son territoire national en direction de l'Océan indien." (Le nord de l'Iran était occupé par l'Armée rouge). Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'URSS va encourager les mouvements séparatistes des régions qu'elle occupait à promouvoir la révolution communiste. L'Union soviétique lança une série d'activités subversives. En Azerbaïdjan, le Parti démocrate s'empara du pouvoir le 4 novembre 45 au moyen d'un coup d'État. La République autonome d'Azerbaïdjan fut proclamée le 13 décembre 45. La révolte kurde éclata le 15 décembre. Au mois de novembre 46, l'armée iranienne intervint en l'Azerbaïdjan et au mois de décembre s'en était fini du régime de la province et l'autorité du gouvernement central promptement rétabli.

En 1947, aux USA la doctrine Truman englobait : l'Iran, la Turquie, la Grèce. Pour l'Égypte, les anciennes puissances coloniales avaient un devoir d'aide aux pays dont ils avaient retiré un avantage. Les principaux pays à bénéficier de ces aides économiques et de l'assistance américaine : la Turquie, l'Iran, l'Égypte, la Jordanie, le Liban, et pour l'URSS : l'Afghanistan, l'Égypte (1960), l'Irak, le Soudan, la Syrie. Ces aides allaient avoir des répercussions économiques, sociales, culturelles et être à l'origine de véritables mutations sociétales. Le différent entre l'URSS et la Chine de 1962 viendra fissurer l'idéologie soviéto-marxiste. Un nouvel acteur, Mao Tse Tong, et une nouvelle doctrine, le maoïsme, venaient d'émerger. La question Ouïgour ne se posait pas encore.

L'islam est devenu un élément culturel et objet de développement de centaines de micro et macro-sociétés locales, en même temps que la composante subjective de centaines de millions de fidèles réparties à travers la planète que rien n'unit, sinon la religions. Gardons-nous de confondre société et communauté. Une communauté forme un groupe au sein d'une société où d'autres communautés coexistent, chacune ayant conservé leurs propres façons de vivre. Le critère d'une société reste lié à la souveraineté exercée sur un territoire, ce que revendiquent les Kurdes répartis sur quatre États, mais aussi les Palestiniens avec un territoire et un État. Ni le communautarisme ni l'assimilation n'ont réussi à régler les problèmes inter-ethniques. Lorsqu'une communauté bénéficiant d'une même culture et mémoire collective revendique pour elle seule l'appropriation d'une partie de territoire transformée en État, la discrimination ethnique devient la "norme", son paroxysme? l'épuration ethnique !

A SUIVRE

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mercredi 14 octobre 2015

UNE NOUVELLE FORME DE CONFLIT MONDIAL ?


Le Proche-Orient actuel représente une zone de tensions internationales où un dangereux "cyclone" pourrait bien venir s'y former. L'unité géographique du Proche-Orient est loin de se refléter dans une unité politique, la démocratie cadrant mal avec les mentalités arabes et islamiques. Si les Musulmans sont capables de s'unir, ce n'est que momentanément. Ils représentent une mosaïque de peuples divisés depuis des siècles par leur hérésie, et les États formés n'ont acquis leur souveraineté que très récemment. Les révoltes et les coups d'État militaires y ont remplacé nos crises parlementaires. L'évolution progressiste fut surtout sensible en Syrie, Liban, Égypte, Iran, Irak, pays dans lesquels l'ethnie arabe n'est pas toujours majoritaire, divisée en Sunnites, Chiites, Druzes, etc.

Le 25 juillet 1920, l’armée française titulaire d'un mandat de la Société des Nations au Levant portant sur la Syrie et le Mont Liban faisait son entrée à Damas et les Britanniques en Palestine et en Irak (Mésopotamie), en application des accords Sykes-Picot. Les troupes du général Gouraud ne rencontrèrent qu'une faible résistance des troupes syriennes. La population fut d'abord satisfaite d'être enfin débarrassée du joug Ottoman et la mission était noble, la France était : "chargée de mener la Syrie à l’autodétermination politique, c'est-à-dire à l’indépendance dans les plus brefs délais  et de protéger son intégralité territoriale".

La France va mettre en place l'ébauche d'une démocratie avec : l'instauration des élections libres, réformer le système judiciaire, introduire le principe de la laïcité, mais la politique en vigueur allait avoir pour effet de favoriser les regroupements ethniques (Alaouites, Druzes, etc.) et aboutir à un découpage du territoire ne correspondant en rien aux réalités socioculturelles du terrain. Les historiens syriens reprochent toujours à la France la non ratification du Traité Vienot portant sur leur indépendance de 1936, et d'avoir cédé l'enclave d’Alexandrette (1939) aux Turcs en contrepartie de leur neutralité.

Le général Weygand nommé commandant de l'Armée du Levant, arrive à Beyrouth au mois d'août 39 avec pour mission de coordonner l'action des forces alliées sur les Balkans et l'Est méditerranéen, aire qui s'étend du Danube au Nil ! Le Groupement des Forces Mobiles du Levant compte deux brigades mixtes mal équipées et mal armées. La convention d'assistance passée avec la Turquie stipule la nécessité pour le corps expéditionnaire de protéger la région de Salonique, le 18 mai 40, Weygand est rappelé pour remplacer Gamelin. Le colonel de Larminat diffuse un tract invitant les troupes à ne pas accepter la défaite et à former un corps de volontaires qui rejoindra la Palestine afin de poursuivre le combat aux côtés des Britanniques. Les défections parmi l'Armée de Vichy seront suiviesde peu d'effet et le colonel frappé d'arrêt de forteresse. La lutte fratricide entre vichystes et gaullistes au Levant fera plusieurs centaines de morts et un millier de prisonniers.

Le conflit terminé, la France faisait admettre la Syrie et le Liban à l'ONU et commença à transférer la direction à des gouvernements locaux. Au mois de mai, des heurts éclatèrent avant de dégénérer en émeutes, la raison? la cession envisagée de bases navales et aériennes. Le bombardement de Damas par les Anglais fit plusieurs centaines de morts. Le 13 décembre, un accord entre la France et la Grande-Bretagne entraîna le regroupement des forces françaises au Liban et celui des Anglais en Syrie. Le 17 avril 1946 marquait le départ des Français après vingt-six années d"occupation au Levant et allait correspondre à la date de la fête nationale syrienne. Le départ des Français inquiétait au premier rang les populations chrétiennes du Liban, le gouvernement syrien ayant tôt fait d'ordonner la fermeture des écoles françaises, avant de se raviser au mois d'octobre.
La Syrie allait vivre une série de coups d'État. Le chef parti nationaliste au pouvoir, Khaled el Azem fut détrôné le 29 mars 49 par un putsch militaire, sans faire de victimes. L'armée, surtout après sa participation malheureuse en Palestine, était en perte de prestige. Le 14août, le colonel qui présidait aux destinées de la Syrie était assassiné par un militaire proche des partisans de la Grande Syrie. Le 19 décembre, voyait le retour de Khaled el Azem. la "valse" des sièges se poursuivie avec sept coups d'État en cinquante mois.

Le 10 juillet 1953, la Syrie se dotait d'une nouvelle constitution basée sur le régime présidentiel et une chambre des députés élue au suffrage universel. Le nouveau président était renversé le 25 février 1954 par un soulèvement militaire et n'eut droit d'alternative que l'exil. Le chef du parti nationaliste protesta contre la signature le 1° mars de l'accord avec l'Égypte ce qui eut pour effet de durcir les relations avec la Turquie. Les élections du 27 septembre et du 4 octobre 1955 évinçaient les conservateurs qui s'étaient montrés favorables au projet d'union syro-irakienne repoussé par la majorité des Syriens. Un nouvel accord fut conclu avec l'Égypte le 20 octobre 55 et Damas à l'exemple du Caire, négocia des traités commerciaux avec Moscou (23 novembre), Pékin (28 novembre), Bucarest (13 janvier 56). Lors de l'opération Mousquetaire de 56, c'est à dire le débarquement franco-anglais renforcé de l'armée israélienne en réponse à la nationalisation du canal de Suez par Nasser, Damas afficha sa solidarité en faisant saboter les pipe-lines de l'Irak Petroleum passant sur son territoire. Les Soviétiques, sous le prétexte d'apporter leur aide militaire et économique à l'Égypte, entendaient bien profiter de l'occasion pour mettre le pied dans la région et ne plus en repartir. La Syrie glissa dans l'orbite de Moscou et la pénétration russe dans la région allait s'affirmer de plus en plus. L'armée syrienne connut une véritable épuration et nombre d'officiers furent remplacés par des éléments pro-communistes.

Ces raccourcis géopolitiques nous éclairent sur la présence russe en Syrie qui entend bien y conserver sa base navale de Tartous située dans la région Alaouite, de se protéger de troubles dans les régions russes à majorité musulmanes. La décision du président François Hollande de faire procéder à des vols de reconnaissance suivis de frappes, n'accordant aucun crédit aux renseignements livrés par les Américains, sans toutefois vouloir servir les intérêts de Bachard al-Assad, semble ignorer les heurts violents des années quatre-vingt entre Alaouites (population minoritaires) et Sunnites, ces derniers espérant l'intervention de l'armée (conscription) à majorité sunnite pour chasser Assad. En 1979, soixante cadets Alaouites de l'Académie militaire étaient égorgés. L'ASL ou Armée syrienne de libération résulte de ce mouvement. Par ailleurs, la destruction du régime baasiste en Irak, ennemi juré de la Syrie et de l'Iran chiite n'a fait qu'amplifier les tensions régionales.

Au moment où les déserteurs syriens sont nombreux à se dissimuler parmi les réfugiés en route vers l'Europe, rappelons qu'un pays n'a jamais d'amis, seuls ses intérêts prévalent. L'amitié ne dure qu'un temps et le dicton ne nous dit pas s'il s'agit d'intérêts à court, moyen ou long terme... Fin septembre, le commandement des forces américaines au Moyen-Orient reconnaissait que des membres de l'ASL en cours d'instruction avaient remis 25% de leurs munitions et six pickups à al-Nosra en échange de leur passage... Le gouvernement américain semble n'avoir tiré aucun enseignement de ses combats contre ces peuplades. Les gouvernements américains successifs, responsables en partie de l'islamisation de l'Europe avec la complicité bienveillantes des gouvernements du vieux continent, semblent n'avoir tiré aucun enseignement de leurs combats contre ces peuplades. On en viendrait presque à regretter la doctrine de James Monroe : "Aux Européens le vieux continent, aux Américains le Nouveau Monde" de 1823.

La menace représentée par Daesh (al Nosra en Syrie) qui compte dans ses rangs de nombreux Irakiens, qui a fait de Raqqa la capitale du califat située à cheval entre la Syrie et l'Irak, étant jugée sérieuse, des hommes politiques des pays membres de la coalition, échaudés par les interventions en Irak et en Libye, déclarent qu'il revient aux pays de la région d'accompagner les frappes aériennes de la coalition par leurs troupes au sol, le président Vladimir Poutine proposant d'enterrer la "hache de guerre" et de monter une coalition élargie à l’armée d’Assad sans pour autant fumer ensemble le "calumet de la paix". Plutôt que de voir dans la situation un énième affrontement indirect de l'Occident contre la Russie, on peut y voir l'opportunité, pour l'Europe, de reprendre langue avec la Russie et pourquoi pas, faire un bout de chemin ensemble. Une chose semble certaine, ce n'est pas avec des frappes "chirurgicales" qu'on aboutira à un traitement curatif, pas même une rémission. Le mal a des métastases d'autant plus diffuses que l'on a tardé à l'enrayer dès l'apparition des premiers symptômes. Saura-t-on l'éradiquer définitivement ? Ironie de l'histoire, V.G d'Estaing propose "un mandat de l’ONU sur la Syrie, pour une durée de cinq ans (…) avec des forces militaires professionnelles venant des membres permanents du Conseil de sécurité". 

A SUIVRE

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vendredi 2 octobre 2015

LA TURQUIE, UNE ALLIÉE AMBIGUË


Mustapha Kemal (le Parfait), dit Atatürk, né en 1880 à Salonique d'extraction paysanne fut à l'avant-garde de son époque. Il réussit des transformations aussi radicales qu'impensables en quelques années seulement et dans un pays qui passait pour être traditionaliste. S'est-il inspiré de l'exemple de Pierre le Grand ? Cet ancien élève de l'École militaire promu capitaine en 1904 qui s'opposa à l'entrée en guerre de son pays au côté de l'Allemagne, la termina comme général en Mésopotamie.

Prince albanais chrétien qui repoussa les Turcs
La fin de la Première Guerre mondiale marque la chute et la refonte du régime ottoman hier allié de la Prusse. Le 13 novembre 1918, les troupes alliées installent leur administration à Istanbul, l'année suivante, les Français occupent les régions de gaziantep, d'Adana et de Marash, les Britanniques prennent pied dans les Dardanelles et à Samsun, tandis que les Italiens débarquent à Antalya, avec l'accord du sultan d'Istanbul, Mehmet VI. Au mois de mai 1919, les Grecs débarquent à Izmir avec l'intention d'annexer l'Anatolie occidentale. C'est Mustapha Kemal qui est chargé du côté Turc, du contrôle du désarmement, mais l'homme aspire en secret à mise sur pied d'un mouvement de résistance nationale contre l'occupant. Ce mouvement va non seulement viser l'occupation étrangère, mais également le pouvoir en place. Les Britanniques procèdent en réponse à des arrestations dans la ville d'Istanbul et déplacent les nationalistes interpellés sur l'île de Malte. Le 23 avril 1920, les États-Unis reconnaissent le gouvernement d'Arménie.

Les Turcs qui ne sont pas des Arabes mais originaires de l'Asie centrale, partagent avec ces derniers la religion islamique. Un docteur de la foi lança une fatwa condamnant Mustapha Kemal à mort et qui conférait un caractère religieux à l'assassinat des nationalistes. Ces derniers firent publier en retour des fatwas de muftis d'Anatolie qui annulaient tous les traités ou conventions signés à partir du 16 mars 1920, dont le Traité de Sèvres (10 août 1920) qui ramenait l'Empire ottoman aux limites des régions d'Istanbul et de l'Anatolie septentrionale, cédant les autres territoires aux alliés. La Turquie allait se tourner vers l'URSS (le Traité de Moscou sera signé le 16 mars 1921) afin de consolider son front oriental, ce qui lui permit de remporter une première victoire contre les Arméniens (3 décembre 1920).

Au mois d'août 1921, les kemalistes libéraient Ankara, en n'en évinçant les grecs, bientôt suivis du départ des Italiens d'Anatolie. Mustapha Kemal fut désigné "combattant de la foi religieuse". Un tournant se dessina lors de l'Assemblée nationale du 13 septembre 1920, il y fut question de délivrer le peuple du capitalisme et de l'impérialisme. Mustapha Kemal déclara dans son discours du 1 mars 1922 " Le peuple de Turquie forme un ensemble social uni par la race, la religion et la culture, dans lequel chacun est engagé par le respect mutuel, l'esprit de sacrifice, des intérêts et une destinée communs." L'Assemblée du 11 octobre 1922 mit fin à l'occupation alliée, et le sultanat aboli le 1 novembre 1922.

Les élections de 1923 marquent l'avènement de la République avec l'élection d'un Président et officialisent les associations de défense en parti politique. Au mois d'août, la nouvelle Assemblée ratifie le Traité de Lausanne et désigne au mois d'octobre Ankara, capitale de la Turquie. La République turque moderne se veut d'abord laïque à l'exemple de l'Occident. Le califat est définitivement aboli au mois de mars 1924, entraînant avec lui la disparition du ministère de la charia et celle des tribunaux religieux. Si l'islam reste cependant religion officielle de l'État, Mustapha Kemal proclame que " la religion est et reste une affaire individuelle." Une révolte vite réprimée en résulte, le parti progressiste est aboli l'année suivante.

On assiste à un renouveau culturel. Ataturk qui est favorable à l'adoption de : "la tenue internationale des peuples civilisés" va être l'artisan de l'émancipation des femmes : disparition de la robe turque et du voile couvrant leur visage - suppression de la polygamie - fin de la séparation des deux sexes dans les transports et les salles de spectacle - les femmes peuvent danser avec des étrangers - introduction du mariage et du divorce civils. L'abolition du port du fez fait son entrée. Les musulmans ne se découvrent pas à l'intérieur d'une mosquée et le fez ou la chechia, coiffe dépourvue de rebord, permet au fidèle de s'incliner face contre terre. Les réformes ne s'arrêtent pas là : introduction du nouveau calendrier - de l'alphabet latin - révision de la langue (turc moderne) - pénétration de la TSF dans les villages reculés - adoption du code civil suisse (1926) in extenso afin d'éviter d'interminables discussions (nos lecteurs pourront faire le lien avec notre article 49-3). La référence à l'islam disparaissait de la constitution en 1928 et avec elle : l'appel à la prière en arabe au profit de la langue en turc - suppression de la dîme - et le jour de repos est fixé au dimanche, contrairement à l'islam qui sanctifie le vendredi. Atatürk avait compris qu'une nation ne peut vraiment se maintenir qu'à travers le ciment de l'histoire. Les nouveaux manuels d'histoire allaient résumer plusieurs siècles, faisant remonter les ancêtres turcs aux Sumériens !

Ce qui peut nous sembler surprenant, c'est qu'une grande partie de la population adhéra sans ciller à ces bouleversements sans précédent, nous fournissant la preuve qu'un homme d'État décidé peut imposer sa volonté et faire procéder à des changements sociétaux sur un court laps de temps. Les hommes politiques français pourraient s'en inspirer pour introduire des réformes en adéquation avec le XXI° siècle et non se complaire dans d'anciennes datant pour nombre d'entre elles, du XIX°, voire du XVIII° siècle.
 

La Turquie bordée par : la Syrie, l'Irak, l'Iran, la Géorgie, l'Arménie, la mer noire et la mer Égée, la Bulgarie, la Grèce, va osciller au fil du temps, entre l'Occident, l'Eurasie et le proche-Orient, signe en 1925 un Traité d'amitié avec l'Union soviétique tout en se montrant conciliante envers l'Europe, notamment à l'égard de la Grande-Bretagne (droits pétroliers) et de la Grèce avec l'échange de population entre les deux pays en 1924. Elle signe en 1934 le Pacte balkanique avec : la Grèce, la Roumanie et la Yougoslavie, qui préserve les relations commerciales avec les anciens territoires de l'Empire ottoman. La Turquie va se rapprocher de la France et de la Grande-Bretagne, lorsque les Italiens vont montrer des intentions expansionnistes, et l'URSS y déployer son activité communiste. La Convention de Montreux (1937) qui autorise la Turquie à militariser les détroits jouxtant ses côtes va susciter les convoitises allemandes et italiennes. Atatürk s'éteignait le 10 novembre 1938, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale.

L'enclave d'Alexandrette, province de Hatay située à la frontière syrienne, passa au mois de juillet 1939 à la Turquie qui s'empressa de signer un traité d'alliance et de défense avec la France et la Grande-Bretagne afin de se protéger de toute volonté d'accaparement soviétique. La pénétration des forces de l'Axe dans les Balkans en 1941 puis en URSS, ne manqua pas d'inquiéter la Turquie. L'Allemagne entendait obtenir le libre passage afin de permettre à ses troupes de rejoindre l'Irak, et elle souhaitait voir la Turquie rejoindre les forces de l'Axe. Si en 1914, le parti au pouvoir en Turquie avait choisi de rejoindre l'Allemagne, caressant le secret espoir de reconquérir les territoires perdus dans les Balkans en 1913, la Première Guerre mondiale terminée, les Turcs allaient rapidement déchanter au point d'oublier les territoires arabes perdus allant jusqu'au rejet du panarabisme et du panislamisme. Le 2 août 44, la Turquie se décidait à rompre ses relations diplomatiques avec l'Allemagne, sentant le vent tourner, elle déclarait la guerre à l'Allemagne le 23 février 45.

Au mois de mars 45, l'URSS dénonçait unilatéralement le traité d'amitié signé en 1925. Les Soviétiques exigèrent l'année suivante, la révision des accords de Montreux portant sur le contrôle des Détroits et sur les territoires bordant la mer Noire l'année suivante, doléances vivement repoussées par la Turquie qui tint son armée prête à une intervention militaire. La situation se maintint jusqu'à la déclaration de Truman qui promettait l'aide des États-Unis aux pays menacés par le communisme (la Turquie a rejoint l'OTAN en 1951). Il allait s'ensuivre, dans les décennies à venir, une partie de géopolitique dont les pays du Proche & Moyen Orients et ceux du Caucase, allaient devenir des pièces maîtresses et avoir des répercussions internationales en Occident et en Union soviétique puis en Russie.

A SUIVRE


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