vendredi 2 octobre 2015

LA TURQUIE, UNE ALLIÉE AMBIGUË


Mustapha Kemal (le Parfait), dit Atatürk, né en 1880 à Salonique d'extraction paysanne fut à l'avant-garde de son époque. Il réussit des transformations aussi radicales qu'impensables en quelques années seulement et dans un pays qui passait pour être traditionaliste. S'est-il inspiré de l'exemple de Pierre le Grand ? Cet ancien élève de l'École militaire promu capitaine en 1904 qui s'opposa à l'entrée en guerre de son pays au côté de l'Allemagne, la termina comme général en Mésopotamie.

Prince albanais chrétien qui repoussa les Turcs
La fin de la Première Guerre mondiale marque la chute et la refonte du régime ottoman hier allié de la Prusse. Le 13 novembre 1918, les troupes alliées installent leur administration à Istanbul, l'année suivante, les Français occupent les régions de gaziantep, d'Adana et de Marash, les Britanniques prennent pied dans les Dardanelles et à Samsun, tandis que les Italiens débarquent à Antalya, avec l'accord du sultan d'Istanbul, Mehmet VI. Au mois de mai 1919, les Grecs débarquent à Izmir avec l'intention d'annexer l'Anatolie occidentale. C'est Mustapha Kemal qui est chargé du côté Turc, du contrôle du désarmement, mais l'homme aspire en secret à mise sur pied d'un mouvement de résistance nationale contre l'occupant. Ce mouvement va non seulement viser l'occupation étrangère, mais également le pouvoir en place. Les Britanniques procèdent en réponse à des arrestations dans la ville d'Istanbul et déplacent les nationalistes interpellés sur l'île de Malte. Le 23 avril 1920, les États-Unis reconnaissent le gouvernement d'Arménie.

Les Turcs qui ne sont pas des Arabes mais originaires de l'Asie centrale, partagent avec ces derniers la religion islamique. Un docteur de la foi lança une fatwa condamnant Mustapha Kemal à mort et qui conférait un caractère religieux à l'assassinat des nationalistes. Ces derniers firent publier en retour des fatwas de muftis d'Anatolie qui annulaient tous les traités ou conventions signés à partir du 16 mars 1920, dont le Traité de Sèvres (10 août 1920) qui ramenait l'Empire ottoman aux limites des régions d'Istanbul et de l'Anatolie septentrionale, cédant les autres territoires aux alliés. La Turquie allait se tourner vers l'URSS (le Traité de Moscou sera signé le 16 mars 1921) afin de consolider son front oriental, ce qui lui permit de remporter une première victoire contre les Arméniens (3 décembre 1920).

Au mois d'août 1921, les kemalistes libéraient Ankara, en n'en évinçant les grecs, bientôt suivis du départ des Italiens d'Anatolie. Mustapha Kemal fut désigné "combattant de la foi religieuse". Un tournant se dessina lors de l'Assemblée nationale du 13 septembre 1920, il y fut question de délivrer le peuple du capitalisme et de l'impérialisme. Mustapha Kemal déclara dans son discours du 1 mars 1922 " Le peuple de Turquie forme un ensemble social uni par la race, la religion et la culture, dans lequel chacun est engagé par le respect mutuel, l'esprit de sacrifice, des intérêts et une destinée communs." L'Assemblée du 11 octobre 1922 mit fin à l'occupation alliée, et le sultanat aboli le 1 novembre 1922.

Les élections de 1923 marquent l'avènement de la République avec l'élection d'un Président et officialisent les associations de défense en parti politique. Au mois d'août, la nouvelle Assemblée ratifie le Traité de Lausanne et désigne au mois d'octobre Ankara, capitale de la Turquie. La République turque moderne se veut d'abord laïque à l'exemple de l'Occident. Le califat est définitivement aboli au mois de mars 1924, entraînant avec lui la disparition du ministère de la charia et celle des tribunaux religieux. Si l'islam reste cependant religion officielle de l'État, Mustapha Kemal proclame que " la religion est et reste une affaire individuelle." Une révolte vite réprimée en résulte, le parti progressiste est aboli l'année suivante.

On assiste à un renouveau culturel. Ataturk qui est favorable à l'adoption de : "la tenue internationale des peuples civilisés" va être l'artisan de l'émancipation des femmes : disparition de la robe turque et du voile couvrant leur visage - suppression de la polygamie - fin de la séparation des deux sexes dans les transports et les salles de spectacle - les femmes peuvent danser avec des étrangers - introduction du mariage et du divorce civils. L'abolition du port du fez fait son entrée. Les musulmans ne se découvrent pas à l'intérieur d'une mosquée et le fez ou la chechia, coiffe dépourvue de rebord, permet au fidèle de s'incliner face contre terre. Les réformes ne s'arrêtent pas là : introduction du nouveau calendrier - de l'alphabet latin - révision de la langue (turc moderne) - pénétration de la TSF dans les villages reculés - adoption du code civil suisse (1926) in extenso afin d'éviter d'interminables discussions (nos lecteurs pourront faire le lien avec notre article 49-3). La référence à l'islam disparaissait de la constitution en 1928 et avec elle : l'appel à la prière en arabe au profit de la langue en turc - suppression de la dîme - et le jour de repos est fixé au dimanche, contrairement à l'islam qui sanctifie le vendredi. Atatürk avait compris qu'une nation ne peut vraiment se maintenir qu'à travers le ciment de l'histoire. Les nouveaux manuels d'histoire allaient résumer plusieurs siècles, faisant remonter les ancêtres turcs aux Sumériens !

Ce qui peut nous sembler surprenant, c'est qu'une grande partie de la population adhéra sans ciller à ces bouleversements sans précédent, nous fournissant la preuve qu'un homme d'État décidé peut imposer sa volonté et faire procéder à des changements sociétaux sur un court laps de temps. Les hommes politiques français pourraient s'en inspirer pour introduire des réformes en adéquation avec le XXI° siècle et non se complaire dans d'anciennes datant pour nombre d'entre elles, du XIX°, voire du XVIII° siècle.
 

La Turquie bordée par : la Syrie, l'Irak, l'Iran, la Géorgie, l'Arménie, la mer noire et la mer Égée, la Bulgarie, la Grèce, va osciller au fil du temps, entre l'Occident, l'Eurasie et le proche-Orient, signe en 1925 un Traité d'amitié avec l'Union soviétique tout en se montrant conciliante envers l'Europe, notamment à l'égard de la Grande-Bretagne (droits pétroliers) et de la Grèce avec l'échange de population entre les deux pays en 1924. Elle signe en 1934 le Pacte balkanique avec : la Grèce, la Roumanie et la Yougoslavie, qui préserve les relations commerciales avec les anciens territoires de l'Empire ottoman. La Turquie va se rapprocher de la France et de la Grande-Bretagne, lorsque les Italiens vont montrer des intentions expansionnistes, et l'URSS y déployer son activité communiste. La Convention de Montreux (1937) qui autorise la Turquie à militariser les détroits jouxtant ses côtes va susciter les convoitises allemandes et italiennes. Atatürk s'éteignait le 10 novembre 1938, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale.

L'enclave d'Alexandrette, province de Hatay située à la frontière syrienne, passa au mois de juillet 1939 à la Turquie qui s'empressa de signer un traité d'alliance et de défense avec la France et la Grande-Bretagne afin de se protéger de toute volonté d'accaparement soviétique. La pénétration des forces de l'Axe dans les Balkans en 1941 puis en URSS, ne manqua pas d'inquiéter la Turquie. L'Allemagne entendait obtenir le libre passage afin de permettre à ses troupes de rejoindre l'Irak, et elle souhaitait voir la Turquie rejoindre les forces de l'Axe. Si en 1914, le parti au pouvoir en Turquie avait choisi de rejoindre l'Allemagne, caressant le secret espoir de reconquérir les territoires perdus dans les Balkans en 1913, la Première Guerre mondiale terminée, les Turcs allaient rapidement déchanter au point d'oublier les territoires arabes perdus allant jusqu'au rejet du panarabisme et du panislamisme. Le 2 août 44, la Turquie se décidait à rompre ses relations diplomatiques avec l'Allemagne, sentant le vent tourner, elle déclarait la guerre à l'Allemagne le 23 février 45.

Au mois de mars 45, l'URSS dénonçait unilatéralement le traité d'amitié signé en 1925. Les Soviétiques exigèrent l'année suivante, la révision des accords de Montreux portant sur le contrôle des Détroits et sur les territoires bordant la mer Noire l'année suivante, doléances vivement repoussées par la Turquie qui tint son armée prête à une intervention militaire. La situation se maintint jusqu'à la déclaration de Truman qui promettait l'aide des États-Unis aux pays menacés par le communisme (la Turquie a rejoint l'OTAN en 1951). Il allait s'ensuivre, dans les décennies à venir, une partie de géopolitique dont les pays du Proche & Moyen Orients et ceux du Caucase, allaient devenir des pièces maîtresses et avoir des répercussions internationales en Occident et en Union soviétique puis en Russie.

A SUIVRE


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