dimanche 25 octobre 2015

QUI TIRE LES FICELLES EN SYRIE ?



Le conflit en Syrie a constitué une véritable aubaine pour la Russie qui entend bien profiter de son intervention pour s'implanter plus durablement au Proche-Orient que  ne le fit l'Union soviétique. Après l'implosion de l'URSS, la CEI a perdu, entre-autre, la Crimée et sa flotte de la Mer noire, de ne conserver que le port syrien de Tartous où la Russie est présente depuis 1971, et Moscou semble, pour l'instant, avoir assujetti sa puissance militaire au service de sa diplomatie dans cette région. La Flotte peut être projetée en Méditerranée via le Bosphore et rejoindre le Canal de Suez, déboucher sur l'Océan indien, et le Détroit de Gibraltar livrant accès à l'Océan Atlantique. Autres atouts de leur présence, l'implantation d'un centre de renseignement (recueil, traitement, analyse), verrouiller le Caucase central et une partie de l'Asie centrale afin d'y prévenir et contenir le risque islamique et de se rallier une partie des musulmans modérés.

Au plan géostratégique, les alaouites (branche du chiïsme) occupent la région la plus fertile de la Syrie dont la bande littorale facilite le commerce maritime, ensuite, l'axe nord : Homs Hama, Alep, et l'axe sud vers Zabadani et Damas représentent les deux artères du pays. Plus à l’est, la vallée de l’Euphrate serpente de la frontière turque en direction du sud-est, desservant les villes de : Raqqa, Deir ez-Zore, et d'Abul kamal proche de la frontière irakienne, axe de pénétration pour Daesh. Pour les partisans d'une présence au sol, une remarque de tactique militaire s'impose, une division n'occupe qu'une largeur d'une dizaine de kilomètres et sa profondeur est d'environ 120 kilomètres...

L'intervention russe aux côtés du régime syrien et de l'Iran a non seulement eu un effet très positif sur le moral des combattants loyalistes, elle semble déplaire fortement à l'axe pro-atlantique soutenu par la : Turquie, l'Arabie Saoudite et le Qatar, jusqu'aux islamistes eux mêmes. Le 13 septembre 2015, L'État islamique et Al-Qaïda ont menacé la Russie, deux obus tirés par des rebelles islamistes sont tombés dans l'enceinte de l'ambassade russe à Damas. Ce conflit initié en mars 2011 par une révolte populaire brutalement réprimée qui s'est mué en guerre civile et entraîné une crise migratoire sans précédent, en fait un des plus complexe en raison de la multitude des protagonistes d'obédience très différentes ; Sunnites/Chiites, Islamistes/musulmans, Daesh (branche syrienne d'Al-Qaïda) et le Front Al-Nosra, par exemple, se font la guerre et combattent séparément le régime de Bachar al-Assad honni par le gouvernement socialiste français.

Si Russes et Occidentaux bombardent l'EI, personne ne semble s'accorder sur le choix des frappes ni sur le soutien aux rebelles présents sur le terrain. Vladimir Poutine a rétorqué à Barak Obama qui s'inquiétait sur le choix des cibles détruites par l'aviation russe : "donnez-nous l'emplacement des cibles islamiques et nous les détruirons". Force est de reconnaître que les 4000 frappes de la coalition au Proche-Orient semblent n'avoir amoindri aucunement la capacité de nuisance des islamistes. Que veut le camp atlantiste, remporter une victoire définitive ou seulement épuiser leur(s) adversaire(s) et ainsi lui permettre de se "refaire une santé" et plus tard de présenter une nouvelle menace ? Une nouvelle victoire à la Pyrus. S'il est de notre devoir moral de se pencher sur les révolutions du Proche-Orient, une autre question se pose, quel est notre intérêt à intervenir, à compatir ou s'en désintéresser ? Qui a raison, Moscou déterminée à en finir avec l'islamisme, Paris qui privilégie le départ d'Assad, ou Washington qui semble vouloir faire cavalier seul ?

Une chose est certaine, l'histoire contemporaine nous a montré que seuls des bombardements destructeurs et meurtriers peuvent mettre un terme à certains conflits. Pendant la guerre en Irak, les États-Unis ont déversé des tonnes de bombes sur Falloujah (2004), opérations qui n'ont aucunement empêché Al-Qaïda en Irak (l'ancêtre de Daech) de quitter la ville pour s'installer à Mossoul. Ce sont les bombardements, notamment sur : Dresde et la Ruhr qui ont permis l'armistice de 45. On ne parlait pas encore de frappes chirurgicales mais de "tapis de bombes". L'"axe du mal" était alors tout simplement les forces de l'Axe avec d'un côté le bien et de l'autre le mal indifférencié. Ceux qui n'étaient pas avec nous, étaient contre nous. Existe-t-il des rebelles musulmans modérés ? Les États-Unis qui ont livré des armes, des véhicules, des missiles antichars et instruit des groupes rebelles, ont eu la désagréable surprise d'en voir certains passer avec armes et bagages chez l'adversaire...

Au mois de juin 2015, l'Égypte marquait sa défiance à l'égard du wahhabisme et de sa pétro-monarchie soutenus par Washington avec l'accueil du "Congrès fondateur de l'opposition démocratique syrienne" au Caire. Le président égyptien de confirmer son engagement en recevant le chef des services de renseignements syriens et déclarer "La Syrie constitue la première ligne de défense de l’Égypte en ce que les deux pays combattent le même ennemi commun, La confrérie des Frères Musulmans". Faisons un aparté sur le wahhabisme qui rejette non seulement les "mauvais Musulmans" mais aussi les Chrétiens, les Juifs et l'Occident. Cette doctrine est née de la rencontre en 1742 de Mohamed Ben Abd al Wahhab, un réformateur religieux expulsé de sa tribu pour avoir prêché le jihad contre les mauvais musulmans (nda: ceux qui se permettaient d'interpréter le Coran selon leurs propres intérêts) qui peuplaient la Mecque, et Mohamed Ibn Séoud un chef tribal dans la région du Nadjd (non assujettie à l'Empire ottoman) située au centre de l'Arabie qui voulait soumettre toutes les tribus régionales. Toute ambition musulmane reste étroitement liée à la religion et aucune réforme ne peut aboutir sans le soutien d'une tutelle "politique". L'Arabie Saoudite présente une identité particulière, elle contrôle les activités religieuses, politiques et économiques. Ceux qui y exercent le pouvoir dépendent matériellement de l'économie, c'est l'antithèse du marxisme ! Pour ces derniers, c'est le rapport de classe qui détermine les relations, non la religion ni l'histoire national, pas plus la propriété privée.

Reprenons le fil de notre lecture, deux événements économiques majeurs sont intervenus en Égypte, l'élargissement du Canal de Suez (Août 2015) et la découverte d'importantes réserves en gaz suffisantes aux besoins du pays et à ravitailler l'Europe plaçant l'Égypte en concurrent du Qatar. l'Égypte qui s'est portée acquéreuse des 2 BPC et d'une quinzaine de Rafale, entend bien devenir un acteur incontournable au Proche et au Moyen Orient. Les grands gagnants pourraient être l'Égypte, l’Iran, la Russie de voir se concrétiser un de ses souhaits historiques.

Les pays bienveillants à l'égard de la Russie sont les mêmes que par le passé, ceux favorables à l'occidentalisation, à une forme républicaine, pour l'émancipation de la femme, et pour lesquels le communisme n'est plus de mise. Pour Poutine, il ne s'agit plus d'imposer une idéologie, un modèle économique (marxisme), de gouvernance, de contester une existence divine, de conquérir des territoires aux Proche et au Moyen-Orient. Vladimir a compris que l'Islam n'a pas de patrie, que l'Ouma a comme l'URSS d'antan, une volonté hégémonique de voir un Califat à majorité sunnite s'établir.

Si le communisme commença vraiment à se répandre au sein des pays arabes dans les années vingt prenant pour prétexte la libération d'une présence étrangère et de l'impérialisme occidental, il avait émergé vers la fin du XIX° siècle. En 1800, la Russie annexa la Géorgie et le traité de Gulistan (1813) priva la Perse de toutes ses provinces riches du Caucase qui fut contrainte en 1828 de céder encore d'autres territoires. La création de l'Afghanistan et l'occupation de la Transcaspie allaient s'en suivre. Quelques années plus tard, des tracts circulaient invitant les Arabes et les Chrétiens de Syrie à s'unir et à refuser la domination Turque au profit de l'"Ouma arabe" où la notion de patrie reste inconnue. Sous la domination ottomane, les Arabes pouvaient circuler librement dans tout le Proche-Orient, ce qui explique en grande partie le comportement des migrants actuels et pourquoi ces peuples peuvent encore rejoindre la Turquie sans visa. Le sentiment anti-ottoman allait gagner l'Égypte et le Soudan irrités de la présence britannique.

Les Bolchéviques allaient vouloir implanter le marxisme où il était le plus susceptible de venir fusionner avec le nationalisme arabe et le renforcer. Cette tentative allait accélérer après la Première Guerre mondiale avec la présence d'agents d'influence : Allemand, Anglais, Français, Russes et d'anciens prisonniers de guerre de retour dans les pays islamiques. Quelques cellules se rallièrent à la troisième internationale en : Turquie, Perse, Égypte. Pour l'Union soviétique, il s'agissait surtout de briser l"encerclement" de la Russie en encourageant les régimes non inféodés à l'Occident à venir rejoindre le communisme.

Le 23 novembre 1917, les Izvestia et la Pravda publièrent des minutes des accords Sykes-Picot du 16 mai 1916 qui faisaient mention du partage par les alliés des pays arabes dans le seul dessein de soulever les populations arabes. Les Alliés avaient promis aux Arabes de les libérer de la présence turque. La tentative communiste allait d'abord s'appuyer sur le système des mandats accordés le 20 avril 1920 sur les anciennes provinces turques et soulever la question du panarabisme, unité : de langue, religieuse, sociale, politique. Pour les Bolchéviques, l'avènement du communisme dans les pays musulmans se devait de reposer sur une révolution sociale, l'émancipation et la revanche des peuples colonisés sur l'Occident chrétien. La Turquie, estimée la plus disposée, allait servir de "laboratoire" à la dialectique marxiste. L'axiome fut de calquer le communisme sur le nationalisme turc. Cela déboucha sur la fondation du Parti socialiste des ouvriers et paysans turcs au mois de septembre 1919. Le 26 avril 1920, Mustapha Kemal proposait à Lénine le réouverture des relations diplomatiques. Un traité d'amitié entre l'URSS et la Turquie fut signé le 16 mars 1921, traité qui s'étendra à la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan. En 1922, le Parti communiste turc organisait ses premières assises à Ankara, il fut aussitôt déclaré illégal.

Au mois de mai 1920, les soviétiques avaient débarqué à Enzeli en Perse et proclamé la République socialiste soviétique de Gilan (4 juin) qui sera renversée en novembre 1921. L'arrivée du Shah en 1925 allait balayer les communismes. Le Parti fut interdit en 1928 ce qui contraignit ses 1500 membres à se réfugier dans la clandestinité. Le déclin des Partis et des cellules communistes était proche. Le noyaux socialistes du Caire, d'Alexandrie, de Port Saïd, par exemple, qui prônaient l'unification du Soudan à l'Égypte et la nationalisation du Canal, ne comptaient que 2000 membres en 1924. le Parti irakien fut lui aussi déclaré hors la loi en 1933. Les marxistes conclurent que les nationalistes étaient xénophobes alors que le communisme recherchait, lui, la lutte internationale des classes laborieuses.

L'URSS avait conclu le 13 novembre 1940, un traité avec l'Axe en catimini : " L'URSS déclare que ses aspirations territoriales se situent au sud de son territoire national en direction de l'Océan indien." (Le nord de l'Iran était occupé par l'Armée rouge). Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'URSS va encourager les mouvements séparatistes des régions qu'elle occupait à promouvoir la révolution communiste. L'Union soviétique lança une série d'activités subversives. En Azerbaïdjan, le Parti démocrate s'empara du pouvoir le 4 novembre 45 au moyen d'un coup d'État. La République autonome d'Azerbaïdjan fut proclamée le 13 décembre 45. La révolte kurde éclata le 15 décembre. Au mois de novembre 46, l'armée iranienne intervint en l'Azerbaïdjan et au mois de décembre s'en était fini du régime de la province et l'autorité du gouvernement central promptement rétabli.

En 1947, aux USA la doctrine Truman englobait : l'Iran, la Turquie, la Grèce. Pour l'Égypte, les anciennes puissances coloniales avaient un devoir d'aide aux pays dont ils avaient retiré un avantage. Les principaux pays à bénéficier de ces aides économiques et de l'assistance américaine : la Turquie, l'Iran, l'Égypte, la Jordanie, le Liban, et pour l'URSS : l'Afghanistan, l'Égypte (1960), l'Irak, le Soudan, la Syrie. Ces aides allaient avoir des répercussions économiques, sociales, culturelles et être à l'origine de véritables mutations sociétales. Le différent entre l'URSS et la Chine de 1962 viendra fissurer l'idéologie soviéto-marxiste. Un nouvel acteur, Mao Tse Tong, et une nouvelle doctrine, le maoïsme, venaient d'émerger. La question Ouïgour ne se posait pas encore.

L'islam est devenu un élément culturel et objet de développement de centaines de micro et macro-sociétés locales, en même temps que la composante subjective de centaines de millions de fidèles réparties à travers la planète que rien n'unit, sinon la religions. Gardons-nous de confondre société et communauté. Une communauté forme un groupe au sein d'une société où d'autres communautés coexistent, chacune ayant conservé leurs propres façons de vivre. Le critère d'une société reste lié à la souveraineté exercée sur un territoire, ce que revendiquent les Kurdes répartis sur quatre États, mais aussi les Palestiniens avec un territoire et un État. Ni le communautarisme ni l'assimilation n'ont réussi à régler les problèmes inter-ethniques. Lorsqu'une communauté bénéficiant d'une même culture et mémoire collective revendique pour elle seule l'appropriation d'une partie de territoire transformée en État, la discrimination ethnique devient la "norme", son paroxysme? l'épuration ethnique !

A SUIVRE

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