LA PÉTAUDIÈRE DU PROCHE-ORIENT
Le
Proche-Orient revêt une importance considérable, plaque tournante
terrestre et maritime entre l'Afrique, l'Occident et l'Asie, il
représente une source de matière stratégique, le pétrole, et
constitue une position militaire de première grandeur. On comprend
qu'il occupe depuis près d'un siècle le devant de la scène
internationale. Nombre de situations actuelles semblent paraphraser
un dicton bien connu : "Si nous n'en profitons pas, d'autres en
profiteront". Tiennent-ils le même raisonnement à l'égard de
leur sœur ou de leur épouse ? C'est sans conteste une autre façon
de faire de la realpolitik.
Lorsque la Première Guerre mondiale
éclate, l'Égypte est protectorat britannique depuis novembre 1914.
Le conflit terminé, elle est entièrement passée, au grand dam de
sa population, sous le contrôle de la Grande-Bretagne. Le pays va lors connaître plusieurs années de grèves qui vont déboucher
sur une insurrection générale. Le 21 février 1922, une déclaration
met fin au protectorat anglais, sous la condition d'assurer la
sauvegarde des voies de communication terrestres et maritimes à
la Grande-Bretagne. Le 19 avril 1923, l'Égypte devenait une
monarchie constitutionnelle héréditaire dirigée par le roi Fouad
I° avant d'être admise auprès de la Société des Nations, l'ancêtre des
Nations-Unis en 1937. Lors de la Seconde Guerre mondiale, l'Égypte
fut le siège de violents combats entre la 8° armée du général
Montgomery et l'Afrika corps du maréchal Rommel (El-Alamein), et
n'entra en guerre le 27 février 1945 aux côtés des alliés.
Le
12 mars 1946, l'Égypte dénonça le Traité de 1936, ce qui aboutit
le 17 novembre à la signature d'un nouveau Traité avec Londres.
L'Angleterre s'engageait à évacuer le Caire et le delta du Nil
avant le 31 mars 47, tout let territoire devant l'être avant le 1
septembre 49. Le 16 novembre 1950, les Egyptiens s'impatientent. Le
premier Ministre réclame l'évacuation "immédiate et totale"
troupes anglaises et l'union de l'Égypte et du Soudan. Londres
accepte de négocier... Le 26 août 1951, date anniversaire du
Traité, est marqué par de violentes échauffourées. Le 16 octobre,
la Chambre et le Sénat proclament Farouk "roi d'Égypte et du
Soudan", ce dernier étant sous occupation britannique. Le
désarmement des policiers auxiliaires d'Ismalïa au mois de janvier
52 par les Anglais déclencha de violents troubles faisant 46 morts
égyptiens et 3 du côté anglais. Le 23 juillet, le général Neguib
lança un ultimatum au roi, l'invitant à abdiquer. La démonstration
militaire dans les rues du Caire suffit à faire plier le roi
d'Égypte et du Soudan, qui embarqua pour l'Europe. Son jeune fils
fut proclamé Fouad II. Le 18 juin 1953, l'Egypte demeurée une
monarchie, devenait une République.
Le
26 octobre 1954, Abdel Nasser fut victime d'une tentative d'attentat,
l'organisation des Frères musulmans fut dissoute et ses membres
emprisonnés. Nasser aspire à un grand dessein, celui de grouper les
peuples arabes autour de l'Égypte, son arme, entretenir le
panarabisme contre Israel, la Turquie, l'Angleterre et la France. Les
pourparlers avec l'Angleterre furent paraphés le 27 juillet 1954.
Les troupes britanniques se devaient d'évacuer leurs bases situées
dans la région de Suez dans un délai de vingt mois, des techniciens
civils anglais restant chargés de l'entretien des installations. Les
troupes britanniques quittèrent l'Egypte le 18 juin 1955, après 72
années d'occupation. L'Égypte redevint complètement indépendante,
cela ne lui était pas arrivée depuis 1517, année de son
assujettissement à l'Empire ottoman.
Le Congres d'Héliopolis du 22 mars 45
porta la Ligue arabe sur les fonts baptismaux auprès des
Nations-Unis. Cette organisation régionale d'inspiration égyptienne
proposait de renforcer les relations entre les États adhérents,
d'arbitrer les litiges pouvant les opposer (ses décisions n'étant
exécutoires que pour les États signataires), et de se porter
mutuellement assistance en cas d'attaque extérieure. Soutenue par la
Grande-Bretagne, son influence s'affirma dans le proche-orient et
l'Égypte ne tarda pas, sous la férule de Nasser, à prendre la tête
de l'opposition anti-occidentale rejoint par la Syrie et l'Arabie
Saoudite.
Si l'Arabie ne fut jamais assujettie à
une puissance occidentale, les autorités britanniques avaient établi
des conventions avec une vingtaine de petites principautés situées
sur le pourtour méridional de la péninsule, depuis le Koweït
(indépendance en juin 1961) au golfe
persique, Bahreïn, Qatar, Mascate, Oman, le protectorat d'Aden. Dans
les années cinquante, le Caire incita ces protectorats à se
débarrasser du contrôle de la Grande-Bretagne et à reprendre en
main leurs ressources pétrolières pour le plus grand bénéfice de
la "Nation arabe". Un autre pays était resté à l'écart
de l'influence occidentale protégé par une barrière montagneuse,
le Yémen est un pays théocratique ultra conservateur qui fit son
entrée à l'ONU en septembre 1947 avec l'appui bienveillant des
États-Unis. Le 23 avril 56, le Yémen signait un traité militaire
avec l'Égypte et l'Arabie Saoudite, avant de se rendre à Moscou qui
lui proposa la construction d'un port à Hodeida. Le Yémen adhéra à
la Confédération syro-égyptienne le 8 mars 1958 ce qui l'incita à
chasser les Britanniques d'Aden.
Lorsque
la Grande-Bretagne proposa au roi Abdallah de Jordanie d'adhérer au
pacte Turco-iranien au mois de décembre 1955, cela déplut fortement
aux Arabes qui l'accusaient déjà de soutenir leur pire ennemi,
Israël. La Jordanie s'était emparée de la Palestine arabe et de
Jérusalem. Après avoir traversé trois crises ministérielles, le
roi promit de ne conclure aucune alliance avec les Occidentaux. Le 1°
mars 1956, Hussein, en signe de bonne volonté à destination de :
l'Égypte, la Syrie, l'Arabie et de sa population anti-Occidentale,
renvoya Glubb Pacha, le fondateur de la Légion arabe. Les trois
États l'en remercièrent et lui promirent une aide financière en
remplacement de l'aide britannique perdue. Le 5 mai, la Jordanie
signait un accord de défense avec le Caire.
Un
fait allait venir brouiller les cartes, les élections d'octobre 1956
furent un véritable succès non seulement pour les nationalistes
arabes, mais également pour les arabes pro-soviétiques. Le nouveau
gouvernement annonça son intention de rétablir les relations
diplomatiques avec l'URSS et réclamait l'abrogation du Traité
d'alliance conclu avec la Grande-Bretagne. Le jeune roi Hussein
n'entendait pas s'en laisser compter. Au cours de la réunion des
"Quatre grands" tenue au Caire (février 57), il afficha
son accord total et entier avec le roi Séoud d'Arabie, l'acceptation
de la Doctrine Eisenhower, c'est-à-dire l'aide américaine ! La
position de l'Arabie Saoudite peut surprendre en raison de
l'opposition traditionnelle entre les Wahhabites et les Hachémites,
mais le roi Ibn Séoud avait conclu fin 1943 un accord avec les
États-Unis pour la construction d'une base aérienne à Dahran.
Depuis, l'influence américaine n'avait cessé de s'étendre,
principalement auprès de sociétés pétrolières Standard Oil et
Aramco (American Arabian Oil Company) dont les royalties
remplissaient les caisses du royaume d'Arabie. Avec l'affaire de
Suez, le roi Ibn Séoud comprit que Nasser représentait un
danger certain pour l'exploitation des champs pétrolifères de
l'Arabie. Il choisit son camp. Le 5 février, le roi était reçu à
Washington avec tous les honneurs d'un chef d'État et reconduisit la
location de la base de Dahran de cinq années...
De
retour à Aman, le roi Hussein profita de l'amnistie des prisonniers
communistes pour demander au Caire et à Ryad la tenue d'une nouvelle
conférence des chefs arabes afin de se prononcer sur la menace que
le communisme faisait courir au Proche-Orient. Après la tentative
déjouée d'un complot militaire, Hussein s'appuya sur les unités
bédouines pour proclamer la loi martiale, prononcer la dissolution
des paris politiques et le 25 avril former un nouveau gouvernement.
Les Américains ne se contentèrent pas seulement de saluer le
courage du jeune monarque, ils firent appareiller la VI° flotte qui
fit route vers le bassin oriental méditerranéen, et accordèrent
une aide financière à la Jordanie. Le Caire était "vert"
de rage en constatant que les États-Unis avaient remplacé la
Grande-Bretagne dans cette région du Proche-Orient. Une autre
surprise attendait l'Égypte et la Syrie. Le roi Hussein allait se
rapprocher de son cousin, le roi Fayçal d'Irak, et ensemble, ils
allaient former le 14 février 1958, la Fédération hachémite
Irako-Jordanienne.
Le
Traité de 1930 par lequel la Grande-Bretagne reconnaissait
l'indépendance de l'Irak lui avait permis à conserver deux bases
aéronavales, une sur l'Euphrate, l'autre sur le Chott el Arab.
L'Irak déclara la guerre aux puissances de l'Axe le 16 janvier 43.
Le conflit terminé, ses ressources pétrolières semblaient devoir
tenir l'Irak loin de l'agitation que connaissaient ses voisins. Les
royalties rapportées par l'Irak Petroleum contribuaient à l'essor
économique du pays. Le roi Fayçal conscient de l'emprise soviétique
sur le Proche-orient, était partisan d'une coopération accrue avec
les Occidentaux. Le 2 mai 1953, le roi Fayçal II qui venait
d'atteindre sa majorité, était couronné roi le même jour que son
cousin Hussein I°. L'année suivante, la Grande-Bretagne abolissait
le traité de 1930 et s'engageait à retirer ses forces armées et à
transférer ses bases aériennes sous commandement irakien. Le 1
juillet 1955, l'Iran adhérait au pacte de Bagdad, suivi le 11
octobre par le Pakistan.
Saddam
Husein entendait faire de l'Irak une grande puissance régionale,
l'opposition sunnite chiite et de vieilles querelles frontalières à
propos du Chott al-Arab et de la province du Kohouzestan riche en
pétrole l'opposaient à l'Iran. Saddam Hussein profita d'une purge
au sein de l'armée iranienne pour lancer ses troupes, soutenu
financièrement par l'Arabie Saoudite et le Koweït. En 1982, l'Iran
connu quelques succès militaires, aussitôt, les États-Unis
entreprirent de soutenir l'Irak et d'en protéger les convois
pétroliers. On apprendra bien plus tard, que le gouvernement
américain jouait un double jeu en livrant aussi des armes à l'Iran
(affaire Irangate)... Lorsque le conflit se termina, six années
plus tard (1,5 millions de morts), l'Irak se retrouva fortement
endetté envers le Koweït. C'est alors que le Koweït accrut sa
production de pétrole, ce qui eut pour résultat une baisse des
cours et de contrecarrer les intérêts de l'Irak à rembourser ses
dettes. Au mois d'aout 1990, l'Irak envahissait le Koweït. Des
forces américaines furent dépêchées à la hâte afin de protéger
les installations pétrolières en Arabie Saoudite. L'ONU vota une
résolution exigeant le retrait des troupes irakiennes. Une coalition
forte d'une trentaine d'États lança l'opération aérienne Tempête
du désert, suivie le 24 février de l'opération terrestre Sabre du
désert. Le 27, le président George Bush annonça la libération du
Koweït. Plusieurs mois allaient être nécessaires pour éteindre
les incendies qui ravageaient les puits de pétroles, et qui allait
donner lieu à d'étranges affaires financières et autres
arrangements. Le 20 mars 2003, les États-Unis et la Grande-Bretagne
réunissaient une nouvelle coalition pour envahir l'Irak sans l'aval
de l'ONU. Ce nouveau conflit allait avoir d'énormes répercussions
dans tout le Proche-Orient et en Europe par ricochet. Non seulement
Bush père & fils n'ont rien fait pour éviter l'islamisme de
gangrener la société occidentale, mais l'y ont précipitée.
Depuis
les attentats de septembre 2001, les États-Unis cherchent sans
relâche à rallier les Occidentaux à leur point de vue, fusse en
leur mentant ou en leur taisant des informations. Si le différent
est porté devant les Nations-Unies et que ces dernières se refusent
à cautionner toute action militaire, la raison du plus fort ou du
plus riche prévaut. Elle a valeur de diktat et l'opération
militaire se pare alors du "droit d'ingérence et d'action
humanitaire". L'intervention de l'OTAN en 1990 contre la
Yougoslavie avait en son temps suscité de très vives critiques, ne
répondant pas à une résolution de l'ONU et elle avait été
déclenchée sans qu'aucun pays de l'OTAN ne soit attaqué,
contrevenant à l'esprit même de sa charte.
La
vérité est plurielle et une dictature, à ne pas confondre avec la
tyrannie, peut comme bien d'autres choses, se révéler la pire ou la
meilleure forme de gouvernance. Qu'elle soit imposée par un clan,
une coalition, ou par les circonstances, les peuples la subissent
toujours en réaction à un déséquilibre. La dictature a plusieurs
visages et ceux qui la rejettent un peu trop vivement semblent
ignorer qu'ils s'y dirigent parfois et qu'il peuvent se transformer,
à leur tour, en véritables tyrans.
A SUIVRE
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